vendredi 12 juillet 2013

Le langage des géographes

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Le langage des géographes, de François de Dainville.

Sous ce titre, qui éveille la curiosité, le P. de Dainville présente un lexique de cartographie et de géographie historique qui est une œuvre d'érudition tout en étant d'une lecture très attrayante. Le point de départ est l'ouvrage du P. Lubin publié à Paris en 1678 sous le titre du Mercure géographique ou Guide du curieux des cartes géographiques, qui donne, outre la définition des termes employés par les géographes et les cartographes français de l'époque, leurs équivalents en latin, en grec, en italien, en espagnol, en anglais et en allemand. L'auteur s'est appliqué à suivre et à montrer l'évolution du vocabulaire géographique depuis trois siècles, à travers les grands dictionnaires, les encyclopédies, et les ouvrages spécialisés traitant de géographie et de cartographie.

Le livre, accompagné d'un index des termes, est divisé en trois parties : géographie astronomique, géographie naturelle, géographie historique. Il est richement illustré de reproductions photographiques d'extraits de cartes anciennes, de légendes de cartes, évoquant tour à tour les méthodes de levés, les types de cartes et de plans à diverses échelles, les symboles et les figurations représentatives. De nombreux croquis dans le texte achèvent de donner une image complète de toutes les conventions cartographiques. Chaque terme donne lieu à définition, à rappel des synonymes ou des équivalents en langues étrangères. Chaque article est accompagné des références aux différents auteurs qui ont contribué à la définition correspondante.

On ne saurait trop insister sur l'importance d'un pareil instrument de travail. Non seulement ce livre est indispensable pour toute lecture de cartes anciennes, mais son étude est une introduction précieuse à la fois à l'histoire de la géographie et à la géographie historique, puisque d'une part on y trouve retracée l'évolution de ce langage des géographes qui ne cesse de s'enrichir tout au long de l'histoire, et que, par ailleurs, l'apparition de termes nouveaux est indicative de l'introduction de techniques nouvelles, de l'attention portée à des formes d'utilisation du sol ou à des formes d'habitat qui font leur apparition à une époque donnée ou cessent d'être valeurs négligeables pour l'observateur et le cartographe.

A vrai dire, la conclusion qui se dégage de la lecture de cet ouvrage est que si les techniques de l'exécution et de la reproduction des cartes ont fait d'énormes progrès depuis quelques décennies, l'acuité de l'observateur, le sens de la réalité géographique, la conscience dans la traduction de tout ce qui peut avoir de l'intérêt pour qualifier une fraction du globe et évoquer l'empreinte des générations successives sur ce sol, sont un héritage pluriséculaire qu'il faut porter la plus grande attention à ne pas laisser altérer par une quelconque automation de la cartographie. Mais pour le P. de Dainville, qui est historien autant que géographe, le xvne siècle marque une étape décisive dans l'histoire de la cartographie, le point de départ de la cartographie moderne. Rien de ce qui nous préoccupe aujourd'hui n'a échappé aux cartographes du xvne siècle, et les premiers ils ont introduit la rigueur mathématique et une exactitude scrupuleuse dans la figuration de tout ce qui était digne d'attention à la surface du sol.

On imagine volontiers l'intérêt que l'on peut éprouver à reconstituer par la l'œuvre patiente et diligente de ces géographes et cartographes qui ne disposaient d'aucun de nos moyens d'observation et de représentation rapide, qui travaillaient à une autre échelle de temps que la nôtre. Et l'on s'étonne une fois de plus qu'en la géographie historique et l'histoire de la géographie soient des domaines de trop délaissés. L'ouvrage du P. de Dainville est, il est vrai, de ceux qui susciter des vocations. La seule lecture du beau chapitre sur la ville dans les cartes (p. 216-225) donne envie de brasser ces innombrables plans sans lesquels on ne comprend rien aux problèmes urbains d'aujourd'hui, et l'on constate aussi que bien des débats sur le choix et l'application des termes sont oiseux... puisque la question a été tranchée, et de façon le plus souvent fort pertinente, à l'époque de Louis XIV.

Article publié par Pierre George, dans "Annales de Géographie";  Année 1966;  Volume 75;  Numéro 407,  pp. 85-86.



François de Dainville, né le 21 janvier 1909 à Paris et décédé en 1971, est un géographe et historien français. Professeur d'histoire de la cartographie à l'École nationale des chartes à partir de 1959. Directeur d'études de l'École pratique des hautes études (IVe section) à partir de 1963. Il a été membre de l'ordre des Jésuites.

Références documentaires :

  1. François de Dainville, "Le langage des géographes", Paris, A. et J. Picard, 1964, avec le concours de Françoise Grivot.
  1. François de Dainville, "Le langage des géographes , Termes, signes, couleurs des cartes anciennes, 1500-1800";  Ré-édition en  05/2002.

Sur le web :



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